Essai : Z750 H2, Cafe Racer Hors série – déc 2014/jan 2015

Une dame passe, avec un nuage blanc sur la tête. Elle ne sait rien de la terrifiante crécelle bleue, nommée sobrement H2, mais elle devait avoir 30 ans en 1972 quand celle-ci sortait. Terrible année 72. Le Bloody Sunday en Irlande, la prise d'otages par le groupe Septembre Noir aux Jeux de Münich... La Kawa 500 H1, « faiseuse de veuves », y faisait régner la terreur. Le brave motocycliste découvrait tout juste la paisible Honda 750 Four, roulait parfois encore en anglaise, considérait toujours une 500 comme une grosse cylindrée et commençait à partager son garage avec une Peugeot 504 ou une Renault 12. Et paf, un bourre-pif ! 74 ch incontrôlables ! Le point d'orgue du gros deuxtemps.

L'indomptable, grâce à laquelle Alain Delon prend la fuite dans Le Gitan. La 750 H2 allait semer le chaos. Un cadre minuscule, des pneus ridicules, un freinage moqueur et un énorme moteur, qui déborde partout, fait trembler le réservoir et les compteurs. Et cet infernal bruit de sorcière. Aujourd'hui, sa bouille d'enfant de coeur ne laisse rien paraître du démon qui la hante. Fourbe.

 

Découpes

L'exact opposé de nos motos contemporaines,nées en temps de paix où les forces protectricesveillent sur nous. Le moteur d'une Kawasaki Z 750 (années 2007-2012) ne dépasse pas d'un poil. Le rapport poids/puissance (100 ch pour 220 kg), quasi identique à celui de la H2 (74 ch pour 200 kg), ne dit rien sur le caractère de la Z contemporaine, docile mais performante, onctueuse, facile, soumise. Malgré son dessin agressif. Elle contrarie parfaitement le principe de la H2.

L'une n'est pas mieux que l'autre, il n'y a pas d'époque bénie et de temps honnis. Didier Kaluza, passionné de Kawa, raisonne ainsi. « Je vois sortir ces gros roadsters Kawa, ils sont très bien, ils tiennent la route, freinent fort et roulent bien au-delà de 220 km/h. Mais en 1000, ils coûtent cher, plus de 10 000 €, et leur look ne parle pas du tout aux gens qui pourraient se les payer. Ils ont quarante ou cinquante ans, le design manga les laisse de marbre. Parmi mes

clients qui possèdent des H2 ou des 900 Z1, ma spécialité, certains aimeraient rouler avec des motos modernes et performantes, mais l'esthétique des gros roadsters modernes ne leur plaît pas. J'ai eu l'idée de rendre des formes plus classiques à ces motos, sur une base de Z 750, pour observer l'effet que cela produirait. Pour le défi technique aussi. »

Didier restaure des H2 et des Z1 depuis une dizaine d'années sous le nom de l'atelier KB Compétition. Il roule aussi en ZRX 1200, s'est payé une Z 1000 de 2002, il suit l'actualité de la moto. Sa Z 750 H2, cette Z 750 aux allures de H2, lie les générations. Il poursuit. « Il n'y a pas de raison pour que les motos dites néo-rétros soient asthmatiques. Les gens qui achetaient des

H2 ou des Z 1 dans les années 70/80 aimaient la puissance, rouler vite, faire Rungis ou les Essarts le week-end à Rouen. Et aujourd'hui on voudrait les séduire avec des W 650 ou 800 ! » L'idée lui est venue alors que nous confrontions ensemble une Z 1000 modèle 2014 à sa Z1R de 1978, il y a moins d'un an. Elle s'est vite muée en projet, que Didier a exposé à ses collaborateurs habituels : Luiggi (soudeur), Pascal (mécanique), Loïc (polissage), Alain (usinage pièces spéciales), Yannick (peinture), Jean-Louis (atelier). Entretemps, il avait découvert sur le net une image correspondant parfaitement à son projet, un photomontage du fameux italien Oberdan Bezzi, qui avait habillé virtuellement une Z 1000 en H2.

Le passage au réel allait s'avérer plus ardu. Didier se met en quête d'une Z 750 récente (parce que la cylindrée était fidèle à celle de la H2). « Puis j'ai dû sacrifier un habillage complet de H2 pour l'adapter à la Z. Le boulot en soudure a été colossal. » Le fond de réservoir de la Z a été conservé, avec sa pompe immergée (injection oblige), avec sa trappe à essence. Le réservoir de la H2 a été découpé en deux parties, verticalement, pour être assemblé sur le fond de l'autre. « La trappe de réservoir moderne est soudée sur le dessus. Une première bande métallique triangulaire comble l’espace laissé en arrière de la trappe, une seconde bande métallique aux formes arrondies vient refermer le réservoir sur l’avant. Le soudeur a fait plusieurs essais avant de trouver la forme définitive. Au final, le nouveau réservoir est plus large que celui de la H2 (surtout dans sa partie avant) et plus haut pour intégrer la pompe à essence, mais plus étroit que celui de la Z 750 » explique Didier.

 

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Il découvre au fil de son oeuvre avec quels compromis les ingénieurs Kawasaki ont dû s'arranger pour créer la Z. Deux fins longerons encadrent le moteur, a priori pas indispensables, mais dont le caractère essentiel apparaît quand on les retire : l'épine du cadre ploie alors sous les contraintes.

Didier constate aussi une légère asymétrie dans l'installation du moteur dans le cadre, par rapport à l'alignement des roues, compensée par une répartition des masses en conséquence. Ces casse têtes contrastent avec la plus simple conception de la H2, en des temps où les normes et la mode différaient en tout point. La selle et la partie arrière allaient achever de renvoyer la Z 750 en 1972. Autre travail de soudure, pour concevoir une boucle arrière adaptée. Le petit dosseret reçoit le vase d'expansion, anachronique. Les caches latéraux modifiés, il faut encore adapter un grand guidon et un support pour le gros phare rond, symbolique.

« La peinture a été un autre grand moment. Le peintre a manqué de s'étrangler quand il a découvert l'ampleur du boulot. Il a laissé tomber ses travaux en cours pour s'adonner à la Z H2 ! Il a lui-même crée la teinte candy bleue pour qu'elle s'approche au plus près de celle de la H2. Mais avant, il lui a fallu mastiquer et masquer les soudures.» Neuf mois de gestation, d'échanges, avec Didier au centre, coupable de ce projet dingue, aussi à l'initiative de la ferveur de toute l'équipe.

Ce boulot a tranché d'avec les habituelles restaurations de Z1 ou H2. « Il y a eu bien sûr les petites frayeurs de dernière minute. La moto qui refuse de démarrer après le remontage : on est pas habitué au capteur de chute, qu'on avait placé à l'envers. La pompe à essence qui n'entre plus dans le réservoir modifié, trop longue de 8 mm : nous avons fabriqué une entretoise » sourit Didier. Aujourd'hui elle roule et étonne. Pari réussi, la Z 750 H2 capte l'oeil, comme celui de ce monsieur qui s'est approché pendant la séance photo pour demander de quel modèle de H2 il pouvait bien s'agir. Grand guidon, selle confortable, elle retrouve de vieilles valeurs, du temps où on roulait beaucoup, longtemps. Elle gagne aussi de l'agilité et du poids, dix kilos plus légère. Une Z plus cool avec les personnes âgées, celles qui ont passé la quarantaine...

Si vous en êtes, et même si vous êtes plus proches de l'adolescence, demandez à Didier
ce qu'il peut faire pour vous. ZE